Dans les années 1970, Eileen Myles a fui l’Amérique catholique et ouvrière pour croquer à pleines dents la vie new-yorkaise. De souvenirs d’enfance doux-amers aux virées stupéfiantes au sulfureux Chelsea Hôtel, en passant par le feu sacré d’une écriture novatrice, Myles raconte tout, avec une honnêteté et une prose explosives. Paru en 1994, Chelsea Girls est aujourd’hui acclamé comme un souffle de liberté littéraire, addictif et magistral, un texte fondateur pour nombre d’artistes contemporains.
Ecrire pour devenir le héros de sa vie
« Ce livre je l’ai écrit très tôt, c’est un poème en prose qui annonce les 3 ou 4 livres qui allaient suivre. Il m’a fallu 14 ans pour écrire ce livre, et je n’avais pas la certitude d’être capable d’écrire un roman. Mais j’ai pensé que si je l’écrivais sous forme d’accordéon, avec des chapitres que je pouvais déplier, alors cela serait possible. En plus, j’étais très inspiré par les films de Truffaut, notamment les 400 coups et cette biographie d’Antoine Doisnel qui se développait au fur et à mesure. Alors, en écrivant les différents chapitres, c’est comme si j’assemblais un film dans lequel je serais un héros au féminin. Depuis, dans mon travail, je me suis donné comme mission de créer cette héroïne dans l’écriture : je voulais créer un modèle. Mais pour cela, il faut se regarder de l’extérieur et être inconnu à soi-même. »
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« Chelsea girls », un livre-poème en prose
« Pendant que j’écrivais ce livre, j’abandonnais mes ambitions de poétesse et j’utilisais les outils de la poésie pour écrire de la prose. C’était difficile, parce que dans la prose, il faut trouver sa propre oreille, alors qu’en poésie, vous êtes l’oreille. Ensuite, j’ai fait en sorte que chaque chapitre soit un nouveau défi, pour essayer de faire quelque chose de plus complexe dans l’acte d’écriture. En fait, la naissance du livre est cachée au sein du livre, plutôt que sur la couverture : c’est ce qui a du sens. »
Créer une langue secrète
« J’avais des intentions émotionnelles en écrivant ce livre au-delà du fait d’être inspiré par Violette Leduc et François Truffaut. J’avais cette sensation d’avoir vécu la réalité de la classe ouvrière au sein d’une famille qui ne montrait pas ses émotions, puis cette vie de lesbienne très underground à New York, et comme la langue et les mots sont des choses qui protègent, J’ai, à travers ce livre, créé une langue secrète, creusé un tombeau magnifique dans lequel enfermé ces mondes qui ne pouvaient pas survivre sans cela. »
Archives
Monique Wittig entretien avec Pierre Dumayet, 1964
Adrienne Rich interviewée lors d’un festival de poésie au Chili en 2001
Références musicales
Moondog, Single foot op 22, n°3
Nico, Chelsea girls
Lou Reed, Rouge
Mykki Blanco, My Nene
Paru en premier sur Radio France